Gilbert est un homme normal. C’est donc un pauvre type. Mais il ne le sait pas encore. Le pire, c’est qu’il ne le saura jamais…
Mardi, fin de matinée
Gilbert a fini sa matinée de travail. Il range un peu son bureau, et se prépare à aller manger en terrasse. Il doit rejoindre son groupe vers 12h15. Il met sa veste, passe aux toilettes, puis gagne le parking couvert. Il cherche les clés de sa voiture, elles sont comme d’habitude dans la dernière poche. Il monte dans sa voiture et démarre le moteur. Il n’est pas en retard, il allume la radio.
Une main lui applique sur le visage un mouchoir imprégné d’une forte odeur, il s’évanouit.
Mardi, début d’après-midi
Gilbert reprend ses esprits. Il fait noir. Ou plus précisément il ne voit rien. Il a un bandeau sur les yeux. Il a peur. Il n’entend rien. Il ne sait pas où il est. Il essaye de bouger, mais il est attaché. Assis sur une chaise, car ses bras sont rivés aux accoudoirs. Tout-à-coup, il entend une porte qui s’ouvre.
L’homme : Bonjour Gilbert
Gilbert : Qui êtes-vous ? Où suis-je ?
L’homme : Calme-toi Gilbert, ça ne sert à rien de t’agiter
Gilbert : Dites-moi qui vous êtes et libérez-moi !
L’homme : Allons, on se calme, tout va bien se passer
Gilbert : Je vous préviens, vous allez avoir des ennuis, j’ai un bon poste, je suis sûr qu’on est déjà en train de me chercher partout
La femme : Non, Gilbert, ta fille est malade, tu es partie la chercher à l’école…
Gilbert : Comment ça, ma fille est malade…
L’homme : Non, elle n’est pas malade, mais par contre tes collègues en sont persuadés…
Gilbert : Mais qui êtes-vous, bordel !
La femme : Qui on est n’a aucune importance, je vais t’expliquer ce qu’il va se passer, tu vas voir, c’est très simple…
Gilbert : Qu’est-ce que vous me voulez ? De l’argent ?
L’homme : Tu nous sous-estimes, on est bien au-dessus de ça, mais passons…
Gilbert : Vous voulez quoi alors ? Merde, j’ai rien fait moi !
La femme : C’est justement ce que nous allons essayer de savoir. Tu vas nous donner des réponses…
Gilbert : Des réponses à quoi ? Je suis un mec normal, un boulot de merde, une femme chiante, une fille nulle en classe, juste un peu d’argent de côté, j’en ai rien à foutre de vos conneries !
L’homme : On va te laisser réfléchir un peu, on revient…
Gilbert : Non, ne partez pas !
Mardi, un peu plus tard
La femme : Gilbert, tu es réveillé ?
Gilbert : Dites-moi ce que vous voulez…
La femme : On va être gentil avec toi, Gilbert, mais il faut que tu nous dises tout, sinon, on peut devenir méchant, très méchant…
Gilbert : Mais vous êtes tarés ! Je ne sais pas quoi vous dire puisque vous ne me demandez rien ! Qu’est-ce que vous voulez savoir ?
La femme : Gilbert, écoute-moi bien… Tu sais ce que tu dois nous dire… Cherche bien au fond de toi-même ce que tu caches… Dès que tu nous l’auras dit, tu seras libre…
Gilbert : J’ai rien à cacher ! Je vous l’ai déjà dit ! Je ne cherche d’histoires avec personne, je fais mon boulot correctement, j’essaye de bien gérer ma famille, qu’est-ce que vous voulez ?
La femme : Gilbert, tu es mal parti tu sais ? Je vais te laisser réfléchir, on revient dans une heure, j’espère que tu sauras quoi nous dire…
Mardi, encore un peu plus tard
Gilbert : Eh, pourquoi vous me donnez une baffe ?
L’homme : Je pensais que tu dormais
Gilbert : Mon cul oui ! Eh, calmez-vous !
L’homme : Tu nous parles autrement ! Ecoutes-moi bien, pauvre type… T’es attaché, tu vois rien, on peut te faire ce que l’on veut, personne ne s’inquiétera pour toi de toutes façons
Gilbert : Comment ça personne ? Je ne sais pas quelle heure il est, mais ma femme appellera la police si je ne rentre pas ce soir !
L’homme : Ça m’étonnerait beaucoup… Tu l’as appelée vers 16h pour lui dire que tu devais partir à Paris jusqu’à demain soir, une mission urgente et imprévue.
Gilbert : N’importe quoi, je ne vois pas comment j’aurais pu l’appeler, vous m’avez enlevé à midi !
L’homme : Tu veux écouter la conversation ?
…
Gilbert : Putain, je ne comprends rien, c’est ma voix… et c’est sa voix…
L’homme : Eh oui, petit Gilbert ! On est fort hein ? Elle nous a crus sans problème ! Mais au fond, peut-être que ça l’arrange non ? Elle aura la soirée libre…
Gilbert : Fumier ! Aïe !
L’homme : Je t’ai dit de nous parler autrement… Tu as réfléchi à ce que tu devais nous dire ?
Gilbert : Mais j’en sais rien, je ne comprends rien, je veux rentrer chez moi…
L’homme : Alors parle ! Tu nous dis tout ce que tu caches, ce que tu n’as jamais dit à personne, et tu es libre
Mardi, a priori dans la nuit
La femme : Gilbert ? Gilbert ?
Gilbert : Quoi ? Oh non, je suis toujours là…
La femme : Tu as réfléchi ? Tu nous dis tout ?
Gilbert : Ecoutez, je ne comprends rien, rien du tout, j’ai aucun secret qui vous intéresse !
La femme : Je n’en suis pas si sûre… Tout le monde cache des choses non ? A sa femme, à son patron, à tout le monde et à lui-même… Alors commence à tout nous dire… On va te laisser encore réfléchir un peu, on revient dans deux heures, si tu veux nous parler, tu appelles, on est juste là…
Mardi, dans la nuit
Gilbert : Eh ! Oh !
L’homme : Tu veux quoi ?
Gilbert : Je vais vous dire ce que je cache…
La femme : C’est bien, Gilbert, tu es intelligent…
Gilbert : Mais je vous préviens, y’a rien d’exceptionnel, vous me relâchez après ?
L’homme : On verra, commence !
Gilbert : Je trompe ma femme. Ça fait deux ans que je me tape régulièrement la fille qui bosse dans le bureau d’à côté, peut-être qu’elle s’en doute, mais on n’en a jamais parlé. C’est ça que vous voulez savoir ?
La femme : Gilbert, écoute-moi bien… Tu penses vraiment qu’on t’a fait venir ici pour ça ? On le sait déjà figure-toi, c’est autre chose qu’on veut !
Gilbert : Mais dites-moi quoi ! J’en peux plus moi ! C’est quoi ce bruit ?
L’homme : Une piqûre, vu que tu ne veux rien dire, ça va t’aider un peu…
Gilbert : Ordure ! Aïe !
L’homme : Je t’ai dit de rester poli !
Gilbert : Je n’ai rien à cacher, je m’en fous de votre produit à la con !
La femme : On verra, Gilbert, attention, je pique…
Mardi, en fin de nuit ou au matin
La femme : Alors, Gilbert, tu as bien dormi ?
Gilbert : Non, je suis fatigué
L’homme : Tu es prêt à tout nous dire maintenant ?
Gilbert : Oui, je suis prêt
La femme : On t’écoute
Gilbert : Je suis un tricheur… Tout petit déjà je trichais à tous les jeux, même avec ma petite sœur… Quand je jouais avec elle à la belote, je coupais, et je rejouais de la même couleur, et puis je me rajoutais des points en comptant… Elle voyait rien ! Et j’ai continué à tricher toute ma vie ! C’est dingue comme c’est facile, vous savez ? A l’école, toujours assis à côté d’un meilleur que moi, au travail, je pompe le boulot tout fait des stagiaires ou des jeunes recrues ! Même avec les impôts, je déduis des choses que je n’ai jamais faites ! Cela fait 10 ans que je suis non-imposable !
L’homme : Tu sais quoi Gilbert ?
Gilbert : Quoi ?
L’homme : On s’en fout… Dis-nous vraiment ce qu’on veut entendre, cela te soulagera…
Gilbert : J’y viens… Des fois je vole… Oui, je pique des trucs, ça sert à quoi de les acheter si d’autres le font à votre place ? Tenez, la dernière chose que j’ai volée, c’est une montre, une Breitling, vous savez combien ça coute ? Eh bien je l’ai piquée à un formateur en psychologie ! Pendant la pause-café… Il l’a cherchée toute la journée, moi je rigolais bien, elle était dans ma poche !
La femme : Gilbert, on va vraiment s’énerver tu sais ? Bon allez, on double la dose !
Mercredi, le matin
La femme : Bon, Gilbert, c’est maintenant ?
Gilbert : Oui
La femme : Parle
Gilbert : C’était l’année dernière, j’étais en voiture, je rentrais chez moi après le travail. Il y avait une dame à l’arrêt de bus, j’étais arrêté au feu rouge. Elle a fait un malaise. Je l’ai vue perdre petit à petit connaissance. Elle me regardait, implorant de l’aide. J’ai paniqué. Dès que le feu est passé au vert, je suis parti en trombe. J’ai appris dans les journaux qu’elle était morte, mais que si les secours avaient pu arriver plus vite, elle aurait pu s’en sortir. Je traine ça depuis comme un fardeau. J’ai honte…
L’homme : Tu le fais exprès… Dis-nous ce que tu caches !!!
Gilbert : Je vous ai tout dit, je vous le jure, je suis un tricheur, un minable qui trompe sa femme, un fraudeur, un voleur, un lâche… Que voulez-vous de plus ?
L’homme : T’en penses quoi ?
La femme : Je pense qu’il est sincère, personne ne résiste à deux doses, et de toute façon, tu sais très bien que la troisième peut être mortelle.
L’homme : Je sais, mais j’aime pas rester sur un échec
La femme : Il y a beaucoup plus d’échecs que de véritables aveux, c’est normal…
L’homme : Bon, on arrête, on le prépare
Le bandeau de Gilbert est enlevé brusquement. Il découvre les deux personnes en face de lui. Une femme d’une trentaine d’années, assez grande, brune. L’autre est plus âgé, environ quarante ans, plus petit, et un peu rond. Mais aussi moins avenant.
Gilbert : Vous allez me tuer ?
La femme : Bien sûr que non, ce soir tu es chez toi ! Avec ta femme chérie, ta montre au poignet et ta conscience pour le reste…
Gilbert : Et vous croyez que ça va se finir comme ça ?
La femme : Bien sûr que oui ! Tu vois ce flacon ? C’est ce qu’on t’a injecté deux fois déjà. Cela sert à se confier, à dire tout ce qu’on a sur la conscience. C’est infaillible. Et tu vois le plateau ? Il y a un autre flacon et un casque. Tu sais à quoi ça sert ?
Gilbert : Vous me faites peur…
La femme : Ce qu’il y a dans le flacon te fera oublier les dernières 24 heures. C’est pour ça qu’on ne peut pas te garder plus longtemps. Le casque, tu vas le garder sur les oreilles pendant que le produit agit, cela te gravera en mémoire ce que tout le monde croit qu’il s’est passé depuis qu’on t’a amené ici. A savoir que tu es allé chercher ta fille qui était malade et que tu es resté avec elle aujourd’hui. Ça, c’est pour ton boulot. Et aussi que tu es allé voir un client à Paris, ça c’est pour ta femme. Tiens, je te pique, y’aura pas de trace, l’aiguille est minuscule
Gilbert : Mais c’est quoi votre truc ? Vous êtes qui ?
L’homme : On peut tout te dire, tu ne te rappelleras de rien. Nous faisons partie du CECC : le Centre d’Etudes des Consciences Criminelles. Une branche des Renseignements Généraux. C’est un programme qui existe depuis plusieurs années. Nous amenons ici des citoyens pris au hasard, et nous les faisons parler. Des fois, souvent, on n’apprend rien. D’autres fois, on apprend des trucs lourds. Et enfin, dans certains cas, des broutilles, mais ces broutilles permettent de financer le programme. C’est ton cas.
Gilbert : Comment ça, c’est mon cas ?
La femme : Tu commences déjà à oublier, c’est bien, tes fraudes fiscales à répétition, notre ordinateur a déjà vérifié, tu avais raison, petit filou. On ne peut revenir que sur les trois dernières années, mais on a chiffré ça à 8752 euros. Et on sait qu’à l’avenir, tu ne recommenceras pas, tu peux faire le calcul. Mais bon, tu dors presque déjà, je te mets le casque, au revoir Gilbert !
Mercredi, début de soirée
Gilbert se gare devant chez lui. Son périple dans la capitale avec un client récalcitrant l’a vraiment fatigué. Il est content de rentrer dans sa famille.
- Salut chérie, tout s’est bien passé ? Désolé d’avoir dû partir dans l’urgence, un gros client impatient qui faisait des siennes !
- Non, tout est ok, y’a juste un coup de fil des impôts, je ne comprends pas trop ce qu’ils veulent, ils parlent de justificatifs sur des travaux, on n’a jamais fait de travaux pourtant, c’est bizarre !
